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jeudi 8 mai 2014

La semaine commémorative de l'Académie de La Réunion, seconde partie


Seconde partie

Nous revenons aujourd'hui sur les interventions de Jean-Bernard Huet, IEN de la Possession et Marie-Ange Rivière, IA-IPR d'Histoire Géographie, vendredi 24 avril 2014 dans le cadre de la Semaine académique de la commémoration.
Ces deux intervenants ont respectivement en charge pour le Rectorat de La Réunion l'encadrement des projets pour le premier degré, les écoles primaires, et le second degré, les collèges et les lycées. Dans leur intervention, ils ont évoqué la capacité des établissements, professeurs et élèves, à se mobiliser et à aller au bout de leurs projets. Des réseaux d'établissement se mettent en place ou pourront le faire prochainement, pour dynamiser encore la mobilisation et encourager de nouvelles bonnes volontés. Et ces deux spécialistes ont fait le point des enjeux pédagogiques de la commémoration.
C'est cette partie de leur invention qui va retenir notre attention.

Jean-Bernard Huet a d'abord évoqué avec fierté les expositions de travaux d'élèves déjà faites ou à venir, dans des médiathèques ou d'autres lieux publics. Une façon de donner du sens au Centenaire de la Grande Guerre est effectivement de valoriser ces travaux en invitant le grand public à en prendre connaissance. Par delà la transmission de connaissances, ces expositions correspondent effectivement à l'enjeu propre de l'histoire : mettre en récit des événements, reconstituer des vies et s'efforcer d'en comprendre le cours à défaut de la logique, prendre la mesure de la part de chaos et d'ordre qui préside aux évolutions du monde dans lequel nous sommes plongés.
Cette exploration de l'histoire au primaire a deux caractéristiques. D'abord elle n'est pas strictement disciplinaire mais bien plutôt pluridisciplinaire. Ensuite, elle comporte un important aspect émotionnel, pour que l'élève s'implique dans sa production.
Ainsi trois types de productions sont attendus :
des écrits à la manière de... par exemple des textes sous le modèle de lettres de poilus ou de lettres de femmes et d'enfants envoyés aux poilus
des reportages et des travaux réalisés à la suite de visites, par exemple des archives départementales, ces visites pouvant être celle de classes s'étant impliquées dans le centenaire
des productions artistiques, des arts visuels, des tableaux ou des sculptures, de la musique ou des poésies.

Une visite possible pour les écoles dionysiaques et des environs, les Archives départementales... ou bien une visite virtuelle en 2 minutes est possible :



Deux exemples de travaux d'élèves exposés à la Mairie de Saint-Denis


Marie-Ange Rivière a pour sa part tenu à souligner que les projets concernant le secondaire pouvaient non seulement prendre plus d'ampleur mais également d'audace, en s'engageant dans des voies plus originales qui n'ont pour le moment guère été frayées.
Elle n'ignore pas pas toutefois que nous n'en sommes qu'au tout début des commémorations, que le lancement officiel du Centenaire n'a pas encore eu lieu, qu'il est déjà très remarquable que des classes aient pu faire aboutir des projets, avec si peu de préparation (et parfois si peu de moyens). Le soutien des équipes de direction s'est avéré très fort. Un encadrement pédagogique par l'Inspection aurait pu être réalisé en amont, depuis le début de l'année scolaire avec, par exemple, la mise à disposition d'une sorte de livret pédagogique ou de guide pour les enseignants et équipes de professeurs.
Reprenons donc le propos de Mme Rivière pour indiquer des voies intéressantes, à défaut de combler le vide.

La plupart des projets du secondaire ont pour principal objectif un approfondissement des connaissances, qui ne sacrifie pas la dimension sensible de l'acquisition de ces connaissances. Ainsi beaucoup de projets proposés portent sur la guerre et son cataclysme, la vie des soldats, l'île de La Réunion en 1914. Les lettres de Poilus sont régulièrement utilisées, comme témoignage de l'histoire immédiate. Parfois des bandes dessinées, comme celle réalisées par Tardi sur la guerre des tranchées, sont aussi utilisées. Il peut alors s'agir de découvrir avec divers types de récits comment la guerre peut être mise en intrigue. De multiples exemples d'histoire réfléchie permettent de comprendre qu'il n'y a pas d'écriture neutre de l'histoire mais toujours des partis pris.

Mais pour le moment peu de travaux d'historiens sont pris comme ressource pour  un travail plus approfondi avec les élèves.

Les productions réalisées sont des plus diverses. Il y a un premier film, celui des élèves du lycée Roland Garros, des pièces de théâtre et lectures scéniques, comme la pièce de la section Abibac du lycée Leconte de Lisle, la confection d'un jeu sur le modèle du Trivial Pursuit, des travaux sur divers sujets comme la Marseillaise et le patriotisme, les souffrances de la guerre, les gueules cassées, les mutilés.

Mais paradoxalement peu de réalisations ont interrogé directement le déclenchement de la guerre. Peu de projets ont abordé la question - plus philosophique - des causes de la guerre ou même ont envisagé la guerre dans la perspective de la diplomatie.
Et il manque sans doute des productions s'interrogeant sur la commémoration elle-même, son enjeu propre.
Peut-être parce les projets ont mobilisé des professeurs d'histoire-géographie, de lettres, d'arts plastiques mais n'ont pas encore mobilisé de professeurs de philosophie...

Marie-Ange Rivière insiste sur l'historiographie. Elle ne devrait pas être ignorée des encadrants, elle devrait même être présentée aux élèves à partir des classes du lycée. Car il n'y a sans doute pas de manière neutre de raconter l'histoire et en tirer des leçons peut s'avérer bien délicat si on ne prend pas le recul nécessaire avec les passions ou même les préjugés d'une époque donnée.
La question fondamentale est donc la suivante : quelle représentation avons-nous de la Première Guerre Mondiale ? Quelle représentation avons-nous des événements depuis notre espace de paix, sociologiquement caractérisé par un refus de la mort et moralement par son absence d'ennemi héréditaire ?
Sans trop exagérer, on pourrait dire en pensant aux guerres du XXIe siècle et engagements militaires des troupes françaises en Afghanistan, en Libye, au Mali, en Centrafrique, qu' « aujourd'hui on ne meurt plus pour la patrie mais à cause d'elle ! ». Notre univers mental n'est pas celui du début du XXe siècle. L'anachronisme est donc un problème constant, avec la tentation de plaquer les réponses d'aujourd'hui sur les questions d'hier. Le rapport de l'individu à la guerre et à l'armée a connu une mutation. Et même on peut voir une évolution entre ce qui avait cours au début de 1914 et ce qui a gagné la population à la fin de 1918 !
Il faut donc sortir d'une vision unitaire de la guerre. Et il est opportun de prendre du recul par rapport à nos jugements dès lors que nous croyons comprendre ou que nous nous précipitons dans le jugement. De ce recul participe également l'interrogation de fond sur les raisons d'une commémoration. Depuis quand y a-t-il des commémorations de la Grande Guerre ? A quoi servent-elles ?

Dès lors qu'on ouvre ces pistes on entre dans une histoire plus riche au domaine plus étendu. On tient compte du renouvellement des travaux des historiens, de la diversité des analyses, parfois polémiques sur un sujet particulier.
Par exemple la petite histoire des taxis de la Marne mais aussi la grande histoire de la bataille de Verdun. Pourquoi ces évènements ont-ils la place qu'ils ont dans notre histoire ? Y a-t-il une part de mythe... comme dans le récit de la guerre de Troie ? Y a-t-il eu fabrique de héros ? Que penser d'une histoire française sur le front de Verdun sans recul des Allemands à la fin de 1916 ?

A recommander, les travaux de l'historien américain Paul Jankowski :
"Verdun, un carnage par hasard ? » article du Figaro
« Verdun, un carnage par hasard ? La thèse est convaincante. Les spécialistes de la Révolution française savent par exemple que Verdun a été prise par les armées autrichiennes au début du mois de septembre 1792. La France ne fut pas envahie pour autant. Quelques semaines plus tard, les armées révolutionnaires reprirent même l'avantage à Valmy et la prise de Verdun par les Autrichiens fut bien vite oubliée. En aurait-il été de même si l'état-major français n'avait pas décidé de réagir aussi ardemment pour contrer l'offensive déclenchée par les Allemands le 21 février 1916 ?
L'historien anglo-saxon développe sa thèse tout en nous plongeant dans les horreurs du combat. Il ne nourrit pas de prévention à l'égard de «l'histoire bataille», qu'on a souvent qualifiée avec mépris de «l'histoire fifre et tambour» (fife and dum). Cette dimension stratégique du conflit reste fondamentale. Mais on ne peut pas comprendre la véritable portée d'une telle bataille si on ne rentre pas dans les réalités humaines des tranchées, la frayeur créée par les bombardements, les souffrances des civils comme celles des soldats. L'une ne doit pas occulter l'autre. « Pas de mémoire culturelle sans la violence des tranchées », ajoute Jankowski. Le «court XXe siècle», avec ses totalitarismes, ne peut pas s'expliquer sans l'horreur de ce genre de bataille dont la brutalité « industrielle » trahit la nouveauté de 14-18. »

Une autre interrogation qui parcourt les ouvrages des historiens contemporains est celle de l'union des soldats dans les tranchées. La guerre aurait, dit-on souvent, forgé un mental et un moral communs, dépassant les clivages de classe. Est-ce si sûr ?
Pourquoi le front n'a-t-il pas cédé ? Pourquoi les soldats ont-ils tenu ? Les historiens étudient cette question qui demeure elle aussi ouverte en évoquant différents types d'explication, entre ces deux pôles de la contrainte appelant soumission et le consentement, l'engagement volontaire dans le conflit pour les camarades qui sont déjà tombés, et ne doivent pas être morts pour rien. La recherche étudie désormais la chaîne de commandement en scrutant les mécanismes du commandement à grande échelle (pour une escouade pas un bataillon ou une armée).
Quel était le moral des troupes au bout de quelques mois de guerre, puis de quelques années ? Les lettres des poilus sont précieuses. Mais il ne faut jamais oublier l'existence d'une censure, voire d'une auto-censure car les soldats du front savent qu'il n'y a des choses qu'on ne dit pas, que nul ne doit dire ou ne peut dire.
Qu'en a-t-il été des désertions, révoltes, et de la répression de ces refus de faire la guerre ? On parle beaucoup de 1917. mais il y eu des fusillés à d'autres périodes de la guerre. Comment le pouvoir militaire s'est-il adapté en prenant en compte l'extrême brutalité de la guerre ? Que s'est-il généralement passé sur le front en cas de révolte ou de manifestation de refus ?
Est-ce que la guerre a été consentie, voulue, désirée ? Les Français sont-ils partis reconquérir l'Alsace et la Lorraine la fleur au fusil ? Quelle guerre ont-ils faite, avec quels objectifs à long terme, avec quel idéal à défendre ?

Pour ces diverses questions, voici un autre historien à recommander, Antoine Prost, président du Conseil scientifique du Centenaire de la Grande guerre. De nombreuses ressources existent sur le Net :
Une recension par Jean-François Dominé de l'ouvrage de Prost, Écrit du front. Lettres de Maurice Pensuet, 1915-1917 (Tallandier, 2010)
Prost en « grand témoin » sur France Info, le 11 août 2013, à écouter sur Dailymotion
Un compte-rendu d'un confrère de l'académie de Paris sur « La Grande Guerre face à sa commémoration » :


Note 1, sur la tripartition de l'histoire, originale, réfléchie et philosophique, cf. les texte classiques de Hegel, tirés de La raison dans l'histoire :

Note 2, sur l'historiographie, mot qui peut apparaître « barabare » :
Une définition sur le site du Centre national de Ressources Textuelles et Lexicales
Un Que sais-je ? Sur l'historiographie :


L'association Centenaires Commémoratifs a pris contact avec l'auteur, Nicolas Offenstadt, et se propose de le faire venir l'année prochaine à La Réunion pour une série de conférences.

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