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samedi 19 avril 2014

Verdun, une mémoire debout


Catherine Panot-Contenot a dédicacé samedi dernier à la Librairie Gérard de Saint-Denis son livre consacré à la mémoire de la Grande Guerre. Nous l'y avons rencontrée, prenant l'occasion d'échanger quelques propos sur les commémorations à venir.

Le livre présenté s'intitule Verdun, une mémoire debout. Il a été écrit à quatre mains, fruit d'un échange épistolaire entre Catherine Panot-Contenot alors documentaliste détachée au Centre mondial de la paix de Verdun, dans la Meuse, et Jean-Louis Marteil, écrivain mais aussi directeur littéraire des éditions La Louve, à Cahors, dans le Lot. C’est le troisième livre de la collection «Terre de mémoire» qu'il dirige.

Ce petit livre (93 pages) apparaît donc comme le produit d'une rencontre préméditée, à la fois précédée et prolongée par le temps de la réflexion que permet l'écrit. L'amitié y transparaît, avec en particulier le soin que met chacun à poser à l'autre des questions, à encourager une appropriation des lieux, à désigner des pistes de discussion pouvant opérer un rapprochement des sensibilités.
L'objet du livre est le lieu même en temps que lieu chargé de mémoire historique. Lieu sans frontières fixes, aux contours mouvants : la ville de Verdun avec son centre, son château, sa gare, et tous les environs, Les Eparges, les forts, la zone rouge, mais aussi la « voie sacrée » devenue route nationale ou d'autres zones de combat, comme les tranchées de Vauquois.
Ce qui est interrogé constamment, dans chacune des trois parties, c'est le fantôme de la guerre en ces divers endroits. Un siècle plus tard, la guerre n'est plus là sauf à l'état de traces, de ruines, d'obus accidentellement déterrés. Et pourtant elle continue à régner sur les paysages. Elle est lointaine et proche à la fois. Elle contribue à donner un sens singulier, peut-être même une valeur aux lieux, parce qu'elle a disparu en laissant derrière elle une énigme et que chacun est poussé à se demander pourquoi. Pourquoi ici la violence des hommes s'est-elle déchaînée ?
Pourquoi ici les belligérants se sont-ils affrontés au prix d'atroces souffrances ?
Pourquoi la guerre a-t-elle choisi Verdun pour y semer ses morts, pour y dévaster toute forme de vie ?

C'est donc moins un livre d'histoire que de géographie. L'histoire est présente bien sûr. Elle est évoquée précisément. Pensant à ses deux grands-pères qui ont fait la guerre, Catherine Panot-Contenot restitue ce que pouvait être le vécu de la guerre . Elle le fait en proposant à notre lecture deux lettres imaginaires qui auraient pu être écrites le 21 février 1916 par un poilu, au cœur de la désolation, au tout début des trois cents jours et des trois cents nuits de sacrifice qui forment maintenant pour nous la bataille de Verdun. Pour sa part, Jean-Louis Marteil rencontre l'histoire telle qu'elle est aujourd'hui présentée, muséifiée dans la Citadelle, ou un peu plus tard en achetant Ceux de 14 de Maurice Genevoix. Comment l'histoire pourrait-elle ne pas être là, à Verdun ? Pour le visiteur de l'ossuaire de Douaumont ou pour celui qui lit tout à coup sur un panneau « Côte 304 », « Le Mort-homme » ?
Mais la guerre n'est plus en ces lieux d'histoire. Elle s'est retirée, comme la marée peut-être... à « Verdun-sur-Mer »... c'est-à-dire Verdun devenu lieu touristique, centre de pèlerinage scolaire, mausolée doté d'une abondante statuaire et de calvaires.

La géographie à laquelle nous convie Catherine Panot-Contenot est plutôt celle d'excursions poétiques. Un paysage de neige suscite une attitude rêveuse ; les balises d'un club de randonnée indiquent le bon chemin jusqu'à ce qu'elles disparaissent mystérieusement ; le muguet dans les sous-bois convoque l'idée d'une chance qu'il suffirait de cueillir et de porter sur soi pour être protégé. Tout cela permet la réminiscence. A-t-il neigé sur Verdun en guerre, et si oui, à quoi rêvaient les soldats ? Hier, les arbres étaient également marqués par les hommes, mais avec des fragments de mitraille déchiquetant les troncs, n'épargnant rien ni personne... Comment le printemps 1916 a-t-il été vécu alors que tout espoir était mort et enseveli sous les obus ?
« Lorsque leurs pas empruntaient les mêmes chemins, songeaient-ils, les soldats de 1916, à cueillir la fleur porte-bonheur, le jour du premier mai , la conservaient-ils pieusement dans une lettre, en croyant très fort en son pouvoir de protection ? Oui, sans doute en ont-ils cueilli, respiré, comme nous, et envoyé à leurs amoureuses des petits brins de plaisir si simple et si doux... des trous d'obus, cratères encombrés de branches et de feuilles mortes, vallonnent doucement le sous-bois. Dans l'un d'eux, les branches semblent disposées régulièrement comme au fond d'un nid, d'un nid géant où est peut-être couché quelque jeune homme qui ne demandait qu'à rester debout quand s'est abattu sur lui, venant du ciel, un épervier de métal ardent. »

Jean-Louis Marteil répond à cette invitation de parcourir les lieux tels qu'ils sont devenus. De temps en temps, le souvenir du Dormeur du val ou bien de ce qu'il connaît très bien, Oradour-sur-Glane par exemple, vient se confondre avec le réel, lui donner plus de relief. Mais ce qui s'impose c'est bien le plat, la platitude à la fois étrange et normale d'un coin de France redevenu très tranquille où il fait bon faire du vélo, en touriste !
« Cet endroit est beau. Le soleil filtre entre les branches, projette au sol des dessins qui s'efforcent de concurrencer ceux des racines. Drôle d'embrouillamini. J'ai peine à l'imaginer : ce lieu est le même que celui aperçu sur une photo ancienne. En 1916, ici, pas un arbre, les racines avaient été englouties dans un magma de terre et de sang. Rien ne permettait de se repérer. Seulement, aujourd'hui, les arbres masquent les trous d'obus.
Je rejoins la voiture. Bizarrement agacé, troublé, je sais que je vais rouler plus vite. Et du coup arriver plus vite au fort. J'y pense, tout est à l'horizontal, ici, sauf les monuments qui eux se dressent tels d'énormes sexes inquiétants. Oui, sur le champ de bataille de Verdun on visite au niveau des yeux, voire en dessous. Tout rampe au sol, pour mieux se protéger des tirs : tranchées, boyaux, casemates, forts. Le fort... pour moi qui aime et connaît bien le Moyen Âge, ce « château » est surprenant. Plat. Recroquevillé comme un géant têtu qui rentrerait à toute force sa tête dans ses épaules. N'offrant aucune prise. C'est qu'il en a reçu des coups sur la tête ! Pourtant, à sa manière, il domine lui aussi, comme ses ancêtres du XIIIe siècle. Son emplacement a été choisi. »

Il n'y a aucune prétention dans ce livre. Comme dans une conversation plaisante, des connaissances sont mobilisées, aussi bien l'étymologie du nom Verdun que le nom des rues, quelques détails architecturaux, le lieu où est tombé le premier obus, la réalité de la verdunisation, mais devenir savant n'est pas le but. Des réflexions et des émotions sont partagées. Librement. Même s'il y a un « travail » de la plume pour les restituer aussi fidèlement que possible. On peut donc lire ce livre comme une modeste invitation au voyage commémoratif. Et c'est très bien.

Laissons la parole une dernière fois à Catherine Panot-Contenot pour l'interrogation qu'elle nous transmet finalement :
« Voilà. Pour en terminer, je voulais te rappeler un lieu dont je t'ai parlé et où nous ne sommes pas allés. C'est un petit étang tout tranquille, enfoui au creux d'un vallon, coincé entre deux routes et de hauts arbres. Très proche, une simple stèle rappelle qu'un jeune aviateur de 25 ans, par un beau jour de juin 1916, a pu voir son engin se refléter un instant, feu dans les eaux sombres de l'étang de Vaux, paisible miroir de sa chute enflammée... Les fantassins eux, hommes-taupes enterrés vivants des tranchées, assistaient, passifs, comme conviés à un divertissement inouï, aux évolutions des gros insectes bourdonnants qu'étaient les aéros en combat aérien. La terre de Verdun a vu de près comment de nouvelles inventions pouvaient devenir des engins de mort sur le théâtre d'une bataille : c'est ici que l'aviation de guerre a déployé pour la première fois ses ailes entoilées et les formes étranges des ballons, saucisses et autres objets volants...
C'est donc cela qui fera le lien final entre ma peur « historique » de la boucherie de Verdun et mes peurs d'aujourd'hui.
Au début d'une nuit de mars 2003, à peu près quatre-vint ans après la bataille, j'ai ressenti fortement la menace, lors du passage trop bas au-dessus de ma tête des lourds bombardiers anglais, au ronflement sourd, qui survolaient Tilly et la Meuse en une longue file continue, pour s'en aller faire la guerre en Irak. Quoique faisant partie de ces générations bien-heureuses qui n'ont jamais connu dans leur chair les bombardements, j'ai senti ma peau se hérisser d'une froide et indicible vague de terreur, à l'idée que la Guerre allait encore tuer, là-bas... »

Très bonne lecture à tous. En espérant que nous nous retrouverons tous pour une conférence consacrée à Verdun ou alors à un des thèmes qu'illustre très bien Verdun, une mémoire debout, les hauts lieux de notre culture, le passage de la mémoire à l'histoire, la possibilité d'une implication personnelle dans la transmission de ce que les victimes de la guerre ont enduré, la violence diabolique des armements modernes et la capacité de résilience des terres et des peuples.  

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