Catherine Panot-Contenot a dédicacé
samedi dernier à la Librairie Gérard de Saint-Denis son livre
consacré à la mémoire de la Grande Guerre. Nous l'y avons
rencontrée, prenant l'occasion d'échanger quelques propos sur les
commémorations à venir.
Le livre présenté s'intitule Verdun,
une mémoire debout. Il a été écrit à quatre mains, fruit
d'un échange épistolaire entre Catherine Panot-Contenot alors
documentaliste détachée au Centre mondial de la paix de Verdun,
dans la Meuse, et Jean-Louis Marteil, écrivain mais aussi directeur
littéraire des éditions La Louve, à Cahors, dans le Lot. C’est
le troisième livre de la collection «Terre de mémoire» qu'il
dirige.
Ce petit livre (93 pages) apparaît donc comme le
produit d'une rencontre préméditée, à la fois précédée et
prolongée par le temps de la réflexion que permet l'écrit.
L'amitié y transparaît, avec en particulier le soin que met chacun
à poser à l'autre des questions, à encourager une appropriation
des lieux, à désigner des pistes de discussion pouvant opérer un
rapprochement des sensibilités.
L'objet du livre est le lieu même en
temps que lieu chargé de mémoire historique. Lieu sans frontières
fixes, aux contours mouvants : la ville de Verdun avec son centre, son château, sa
gare, et tous les environs, Les Eparges, les forts, la zone rouge, mais aussi la « voie sacrée » devenue route
nationale ou d'autres zones de combat, comme les tranchées de
Vauquois.
Ce qui est interrogé constamment, dans
chacune des trois parties, c'est le fantôme de la guerre en ces
divers endroits. Un siècle plus tard, la guerre n'est plus là sauf
à l'état de traces, de ruines, d'obus accidentellement déterrés. Et pourtant elle continue à régner sur les paysages. Elle est
lointaine et proche à la fois. Elle contribue à donner un sens
singulier, peut-être même une valeur aux lieux, parce qu'elle a
disparu en laissant derrière elle une énigme et que chacun est
poussé à se demander pourquoi. Pourquoi ici la violence des hommes
s'est-elle déchaînée ?
Pourquoi ici les belligérants se
sont-ils affrontés au prix d'atroces souffrances ?
Pourquoi la guerre a-t-elle choisi
Verdun pour y semer ses morts, pour y dévaster toute forme de vie ?
C'est donc moins un livre d'histoire
que de géographie. L'histoire est présente bien sûr. Elle est
évoquée précisément. Pensant à ses deux grands-pères qui ont
fait la guerre, Catherine Panot-Contenot restitue ce que pouvait être
le vécu de la guerre . Elle le fait en proposant à notre lecture
deux lettres imaginaires qui auraient pu être écrites le 21 février
1916 par un poilu, au cœur de la désolation, au tout début des
trois cents jours et des trois cents nuits de sacrifice qui forment
maintenant pour nous la bataille de Verdun. Pour sa part, Jean-Louis
Marteil rencontre l'histoire telle qu'elle est aujourd'hui présentée,
muséifiée dans la Citadelle, ou un peu plus tard en achetant Ceux
de 14 de Maurice Genevoix. Comment l'histoire pourrait-elle ne
pas être là, à Verdun ? Pour le visiteur de l'ossuaire de
Douaumont ou pour celui qui lit tout à coup sur un panneau « Côte 304 »,
« Le Mort-homme » ?
Mais la guerre n'est plus en ces lieux
d'histoire. Elle s'est retirée, comme la marée peut-être... à
« Verdun-sur-Mer »... c'est-à-dire Verdun devenu lieu touristique,
centre de pèlerinage scolaire, mausolée doté d'une abondante
statuaire et de calvaires.
La géographie à laquelle nous convie
Catherine Panot-Contenot est plutôt celle d'excursions poétiques. Un
paysage de neige suscite une attitude rêveuse ; les balises
d'un club de randonnée indiquent le bon chemin jusqu'à ce qu'elles
disparaissent mystérieusement ; le muguet dans les sous-bois
convoque l'idée d'une chance qu'il suffirait de cueillir et de
porter sur soi pour être protégé. Tout cela permet la
réminiscence. A-t-il neigé sur Verdun en guerre, et si oui, à quoi
rêvaient les soldats ? Hier, les arbres étaient également
marqués par les hommes, mais avec des fragments de mitraille
déchiquetant les troncs, n'épargnant rien ni personne... Comment le
printemps 1916 a-t-il été vécu alors que tout espoir était mort
et enseveli sous les obus ?
« Lorsque leurs pas
empruntaient les mêmes chemins, songeaient-ils, les soldats de 1916,
à cueillir la fleur porte-bonheur, le jour du premier mai , la
conservaient-ils pieusement dans une lettre, en croyant très fort en
son pouvoir de protection ? Oui, sans doute en ont-ils cueilli,
respiré, comme nous, et envoyé à leurs amoureuses des petits brins
de plaisir si simple et si doux... des trous d'obus, cratères
encombrés de branches et de feuilles mortes, vallonnent doucement le
sous-bois. Dans l'un d'eux, les branches semblent disposées
régulièrement comme au fond d'un nid, d'un nid géant où est
peut-être couché quelque jeune homme qui ne demandait qu'à rester
debout quand s'est abattu sur lui, venant du ciel, un épervier de
métal ardent. »
Jean-Louis Marteil répond à cette
invitation de parcourir les lieux tels qu'ils sont devenus. De temps
en temps, le souvenir du Dormeur du val ou bien de ce qu'il connaît
très bien, Oradour-sur-Glane par exemple, vient se confondre avec le
réel, lui donner plus de relief. Mais ce qui s'impose c'est bien le
plat, la platitude à la fois étrange et normale d'un coin de France
redevenu très tranquille où il fait bon faire du vélo, en
touriste !
« Cet endroit est beau. Le soleil
filtre entre les branches, projette au sol des dessins qui
s'efforcent de concurrencer ceux des racines. Drôle
d'embrouillamini. J'ai peine à l'imaginer : ce lieu est le même
que celui aperçu sur une photo ancienne. En 1916, ici, pas un arbre,
les racines avaient été englouties dans un magma de terre et de
sang. Rien ne permettait de se repérer. Seulement, aujourd'hui, les
arbres masquent les trous d'obus.
Je rejoins la voiture. Bizarrement
agacé, troublé, je sais que je vais rouler plus vite. Et du coup
arriver plus vite au fort. J'y pense, tout est à l'horizontal, ici,
sauf les monuments qui eux se dressent tels d'énormes sexes
inquiétants. Oui, sur le champ de bataille de Verdun on visite au
niveau des yeux, voire en dessous. Tout rampe au sol, pour mieux se
protéger des tirs : tranchées, boyaux, casemates, forts. Le
fort... pour moi qui aime et connaît bien le Moyen Âge, ce
« château » est surprenant. Plat. Recroquevillé comme
un géant têtu qui rentrerait à toute force sa tête dans ses
épaules. N'offrant aucune prise. C'est qu'il en a reçu des coups
sur la tête ! Pourtant, à sa manière, il domine lui aussi,
comme ses ancêtres du XIIIe siècle. Son emplacement a
été choisi. »
Il n'y a aucune prétention dans ce
livre. Comme dans une conversation plaisante, des connaissances sont
mobilisées, aussi bien l'étymologie du nom Verdun que le nom des
rues, quelques détails architecturaux, le lieu où est tombé le
premier obus, la réalité de la verdunisation, mais devenir savant
n'est pas le but. Des réflexions et des émotions sont partagées.
Librement. Même s'il y a un « travail » de la plume pour
les restituer aussi fidèlement que possible. On peut donc lire ce
livre comme une modeste invitation au voyage commémoratif. Et c'est
très bien.
Laissons la parole une dernière fois à
Catherine Panot-Contenot pour l'interrogation qu'elle nous
transmet finalement :
« Voilà. Pour en terminer, je
voulais te rappeler un lieu dont je t'ai parlé et où nous ne sommes
pas allés. C'est un petit étang tout tranquille, enfoui au creux
d'un vallon, coincé entre deux routes et de hauts arbres. Très
proche, une simple stèle rappelle qu'un jeune aviateur de 25 ans,
par un beau jour de juin 1916, a pu voir son engin se refléter un
instant, feu dans les eaux sombres de l'étang de Vaux, paisible
miroir de sa chute enflammée... Les fantassins eux, hommes-taupes
enterrés vivants des tranchées, assistaient, passifs, comme conviés
à un divertissement inouï, aux évolutions des gros insectes
bourdonnants qu'étaient les aéros en combat aérien. La terre de
Verdun a vu de près comment de nouvelles inventions pouvaient
devenir des engins de mort sur le théâtre d'une bataille :
c'est ici que l'aviation de guerre a déployé pour la première fois
ses ailes entoilées et les formes étranges des ballons, saucisses
et autres objets volants...
C'est donc cela qui fera le lien final
entre ma peur « historique » de la boucherie de Verdun et
mes peurs d'aujourd'hui.
Au début d'une nuit de mars 2003, à
peu près quatre-vint ans après la bataille, j'ai ressenti fortement
la menace, lors du passage trop bas au-dessus de ma tête des lourds
bombardiers anglais, au ronflement sourd, qui survolaient Tilly et la
Meuse en une longue file continue, pour s'en aller faire la guerre en
Irak. Quoique faisant partie de ces générations bien-heureuses qui
n'ont jamais connu dans leur chair les bombardements, j'ai senti ma
peau se hérisser d'une froide et indicible vague de terreur, à
l'idée que la Guerre allait encore tuer, là-bas... »
Très bonne lecture à tous. En
espérant que nous nous retrouverons tous pour une conférence consacrée
à Verdun ou alors à un des thèmes qu'illustre très bien Verdun, une
mémoire debout, les hauts lieux de notre culture, le passage de
la mémoire à l'histoire, la possibilité d'une implication
personnelle dans la transmission de ce que les victimes de la guerre
ont enduré, la violence diabolique des armements modernes et la capacité de résilience des terres
et des peuples.
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